Même si tout ne se prête pas au commentaire,

       on peut dire de la peinture d'Anne-Marie Sanchez

       qu'elle est vivante,physique; elle a de la matière.

       La vie s'y trouve, énergique et brouillonne, obstinée, avec ses énigmes,

       son obscur et sa lumière, ses souffles, ses pulsations , ses heurts.

 

       Une peinture qui semble convoquer le spectateur sur le chantier même de la création,

       sorte de site archéologique possible pour chacun, regardant.

       La toile y est dépositaire de traces multiples et improbables

       qu'elle propose, quelquefois révèle.

 

       Une peinture qui semble assumer ce qu'elle est

       y compris son bagage d'errances, de maladresses,

       le bricolage pictural, les erreurs et les raccrocs...

       Dans le cadre, le chaos émotionnel paraît s'organiser peu à peu.

 

       Ne semble-t-il pas que soit visé avant tout

       un certain apaisement et la louange sans adresse?

       Face à elle, accepter d'être dérouté pour tout simplement regarder

       ce qui ne montre ni ne cache mais indique.

 

       Seul importerait ce quelque chose d'indicible qui arrête, réunit et se partage:

      "La matière de l'absence" (pour emprunter à Patrick Chamoiseau sa belle formulation)

 

 

 

 

     Ma démarche artistique

 

Je dépose ma tête;

les bras pleins d'émotions, j'entre à tâtons

dans l'ample silence de la peinture

et l'espace indicible de l'intime.

 

L'érosion du geste pictural m'aide à libérer,

ouvrir des passages, ajuster,

donner forme à l'image.

 

Je la laisse s'élaborer à son rythme, avec ses heurts,

ses vibrations propres, ses soupirs.

J'accompagne l'image en train de se faire.

Elle dirige, j'exécute.

 

Cet impératif sans apparente nécessité

est pour moi un formidable espace de liberté.

 

Quand, enfin, l'image advient, et me regarde,

j'accueille dans l'étonnement l'événement pictural

et espère le faire partager.

 

                                                 Anne-Marie Sanchez .

 

 


         Les goûts et les couleurs

 

Je défroisse mon trousseau de toiles et mes vieilles recettes.

J'envisage...

 

Au marché, à la cueillette, je remplis mes paniers

Et fais feu de tout bois...

 

Je trie, épluche et mixe. J'accommode mes restes.

J'encre de seiche, à l'huile ou à l'eau et me rappelle souvent

Qu'on ne fait pas d'omelettes sans casser d'oeufs.

Je presse, transfère, mijote avec gourmandise.

Je cuisine au pinceau.

M'essuie au tablier, goûte et crache.

Je buvarde à grosses louches dans le torchon.

Je tamise les coulis obtenus dans le silence.

J'essore mes liaisons, fouette mes roux, incorpore mes blancs.

Je râpe les mots qu'il me reste, presse leur jus, étale leurs chairs vives.

J'épice, déglace ou flambe à ma guise.

Quand la croûte dort, je réserve.

Je dresse alors la toile, sort les couverts.

 

A la table, mes petits sont là.

Etonnantes énigmes.

Pas vraiment attendus, sans titre,

Mais tous reconnus et portant signature.

 

Vous dire qu'ils m'ont donné autant de joies que de peines,

Tous couvés, caressés de couches en couches...

J'espère qu'ils se tiendront bien, que leur petit bruissement,

L'impression de déjà-vu ou d'insolite,

de trop ou de pas assez qu'ils dégageront,

vous fera plaisir, mes chers convives !

 

                                            Anne-Marie Sanchez